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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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vendredi 20 avril 2018

Patrick Sarfati, 1958. France


Patrick dans les fleurs, Pierre et Gilles (Patrick Sarfati), 1983

« Le corps, c’est l’architecture du désir »



Collectionneur et promoteur de la photographie masculine des années 50 à 70, passionné de culturisme, Patrick Sarfati est en France l’un des principaux artisans de la photographie gay classique. Patrick Sarfati est photographe depuis 1979. Témoin et photographe de la vie nocturne, artistique et gay dans les années 80, son nom associé à l’idée d’une certaine photographie glamour pour tous des années 80 fait partie de notre inconscient collectif. On le rapproche immédiatement de ces visages connus et qui constituent, comme on dit, une certaine époque : Keith Haring, Jeanne Moreau, Grace Jones, Ertha Kit, Béatrice Dalle et bien sûr Jean-Paul Gaultier dont le photographe a réalisé les premiers visuels avec notamment Jean Claude Van Damme que Sarfati shoote pour le carton d’invitation du défilé « Héros ». Son thème de prédilection est le corps masculin traité comme objet du désir. Il n'hésite pas à mettre en scène ses modèles avec des références à la littérature. Avec la même approche que Bob Mizer et Bruce of Los Angeles, il photographie beaucoup de sportifs et culturistes.




Patrick Sarfati et Jean Paul Gaultier, Paris, 2017 





 JCVD (Jean Claude Van Damme, 1983)




Jean Claude Van Damme




Le modèle secret 1 ,1985




Le modèle secret 2 ,1985




Le modèle secret 3 ,1985




Le modèle secret 4 ,1985




Animaux, Paris, 2002




Athlète-Soleil. Paris, 1987




Bras de fer. Paris, 1987




Garçon au ballon, 1982




Jeune athlète. Paris, 1990




La cigarette, 1982




Martial Cherrier, champion de France de Bodybuilding, 1994




 Nu masculin de dos, Paris, 1983




Paris nu masculin de dos. Hommage à G. Platt Lynes, 1983





Tarzan, 1987




Tatoo-boy, 1984




Terre-Air-Eau. Nice 1993. J.M Castaing, champion du monde de Body Building, 1993




The mask, 1985




Yacouba, athlète, Aubagne, 2002




Yacouba et trophée, Aubagne, 2002




Young Hercule, Paris, 1989




Eric Censier, 1984



Biographie :

Né à Carthage en Tunisie, 1958.
1977 – Etude en Sciences Politiques et philosophie (Aix-en-Provence).
Prix de Philosophie.
1978 – Ecole de cinéma à Paris C.L.C.F
Un court métrage : “FACES”
1979 – Débute la photographie et expose à Berlin, Galerie Anderes VFER.
1989 – Prix de la Jeune photographie Européenne (Allemagne).
Depuis , 80 expositions personnelles, collectives, festivals, en Europe, Japon, USA et Australie.
Publications : Dans plus de 60 titres de magazines et 80 couvertures de journaux.

Bibliographie :

1985 : “Illusions” édition Persona, Paris
1990 : “Athlètes” édition Bruno Gmünder, Berlin
1993 : “Images” cassette vidéo (250 images), édition renard, Paris
2001 : “Photorotic”, édition Pohlmann Press, Los Angeles
2002 : “Stadium”, édition Norma, Paris


PATRICK SARFATI PAR EDMUND WHITE;


Lorsqu'on me montre des photos d'inconnus, je passe de l'une à l'autre avec une fébrilité coupable qui s'apparente à de l'angoisse, surtout si les modèles sont tous de beaux hommes comme sur les photos de Patrick Sarfati. […] Je n'ai guère le calme requis pour étudier la composition, l'arrière-plan, l'éclairage, même si plus tard, une fois apaisée ma frénétique curiosité, c'est justement sur ces détails que je m'attarde avec toute la concentration d'un fétichiste.

Mais qu'est-ce que je cherche donc ? Pas vraiment un plaisir pornographique. On peut diviser l'humanité entière entre ceux qui sont excités par les images et ceux qui le sont par les mots. Moi, je me range dans la seconde catégorie et je donnerais la photo la plus explicite pour la petite annonce la plus discrète. Et pourtant je ne suis pas indifférent à l'attrait des photographies, bien que dans ce cas mon émotion ressemble davantage à une recherche amoureuse qu'à une stimulation immédiate ; ce qui m'anime c'est plus l'espoir d'un avenir utopique que le réel désir de capturer un réel gibier. […]

La pornographie suppose cyniquement (et à juste titre) que l'on est excité seulement par une poignée de types et de situations ; c'est pourquoi elle perfectionne ses stéréotypes et en réduit encore le nombre. L'art, au contraire, procède d'une tout autre manière. S'il sollicite des énergies sexuelles, c'est uniquement pour les canaliser vers de nouveaux et exotiques jardins de l'esprit ; l'art est une sorte de projet d'irrigation spirituelle. C'est pour cela qu'il est possible qu'une bête affamée comme moi fouille et fourrage en haletant parmi les photographies de Sarfati à la recherche d'une excitation familière mais se retrouve, disons, diverti aux deux sens du terme (amusé mais aussi dévié et dirigé vers un tout nouveau gestuaire). Loin de la rétrécir, Patrick Sarfati élargit notre conception du plaisir terrestre en y mêlant des éléments de surnaturel : un jeune homme porte un masque de dentelle mais tient un autre masque – un anthurium ; ou bien un Mercure moderne est coiffé d'un casque d'argent qui envoie des rayons de lumière aux quatre points cardinaux.

Comme chez tous les artistes, les diverses stratégies de Sarfati sont ludiques, tendues, allusives. Afin d'éviter les lourdeurs charnues de la pornographie, ses orifices béants et ses sacs pendants, il ne dévoile jamais les organes sexuels eux-mêmes. Ses modèles ne sont pas des clones poilus ni moustachus ayant des melons pour biceps. Ce sont plutôt les modèles esthétiques à la peau lisse d'antan, les danseurs idéalement épilés du glabre Lido. Leur nuque rasée, leur coupe de cheveux stylisée et les poses étudiées évoquent les figurants de jadis (ainsi que la plus récente No Wave de l'avenir).

Le passé de Sarfati c'est aussi le passé de l'art physique des années 50, celui de l'Athletic Model Guild et de tous ces adolescents imberbes et huilés, en casque grec et jupette militaire, debout sur un podium abstrait de studio, la lance à la main, symbole très précisément nié par l'atmosphère de sublime de la composition.

Dans les années 50, les photos suggestives de jeunes gens étaient censées illustrer les activités culturistes ou faire référence à l'antiquité. Grec signifiait raffinement, et même des photos émoustillantes représentant d'adorables jeunes Grecs pouvaient passer pour d'exaltants exemples à suivre. Bien sûr, le fantasme de la Grèce classique a hanté toutes les générations sous des formes de plus en plus camp et démotiques. Après tout, les marbres délicatement érotiques du dix-neuvième – Pan consolant Psyché ou La Nymphe chasseresse à la gorge généreuse d'Alexandre Falguière – ne se réclamaient-ils pas de l'éternelle élégance attique ? […]

Dans un livre étonnant, intitulé Seeing Through Clothes (« Voir à travers les vêtements »), Anne Hollander a soutenu qu'en peinture le corps nu est toujours perçu comme dénudé. Parce que – par exemple – pendant la Haute Renaissance allemande la mode désignait le ventre long et oblique comme le principal lieu de l'érotisme mais dissimulait les jambes sous des drapés opaques, l'Eve nue de Lucas Cranach l'Ancien dévoile un abdomen proéminent et des jambes peu clairement dessinées. De même, le corps de la Maja nue de Goya est une abstraction de la version vêtue de la même femme : même haute poitrine et taille rentrée. En d'autres termes, il n'existe pas de nudité toute nue : chaque génération voit le corps selon sa mode vestimentaire.

Sarfati joue avec cette idée (au point que, faisant un jeu de mot visuel, il voit à travers le vêtement, littéralement : un protège-épaule en plastique transparent). Il ornemente les corps de vêtements érotiquement chargés mais isolés et partant inutiles : accoutrement de l'athlète vainqueur, du gladiateur, du motard, du pirate, du samouraï, du surfer, du marin, de l'aviateur de la Première Guerre mondiale... […]

Le mode favori de Sarfati c'est le contraste : jour/nuit, Noir/Blanc, voyou/ange, intérieur/extérieur ; le blond contre du velours noir, le brun contre un mur blanc. Ici, l'extase renverse en arrière un modèle sans visage à côté de la photographie du visage d'une statue masculine. Là, le mannequin s'enroule à côté d'un dessin anonyme américain de la fin des années quarante. Ces jeunes visages font eux-mêmes contraste avec le décor suranné (tapis en peau de léopard, méandres grecs, accordéon de music-hall) et avec les techniques également datées (éclairage en halo, flou scintillant, ombres psychologiques d'ambiance, profils en contre-jour). Mais alors que les vieilles photographies de nus sont poignantes parce que nous savons que les modèles sont morts désormais (toute photo a pour sujet la mort, comme Barthes l'a démontré), dans les photographies démodées de Sarfati, le paradoxe tient à ce que ces garçons d'autrefois sont terriblement présents, cueillis il y a cinq minutes à peine. […]

Sarfati ne nous laisse jamais confondre l'art et la vie. Ces photographies ne sont pas des clichés instantanés. Les corps sont travaillés, gonflés, huilés et savamment éclairés : les têtes sont placées au millimètre près ; les effets sont si recherchés (lumière se dégageant d'un aquarium sans poissons, stalagmite grimpant le long d'un torse soulevé) que l'on ne peut oublier l'artifice. Révéler l'artifice peut être une vraie jouissance (ce que les formalistes russes appellent « mettre à nu le procédé »). Sarfati ressemble à l'illusionniste qui ouvre la boîte pour nous montrer comment il s'y est pris pour scier en deux la jolie dame.

Edmund White*

(traduction de Georges-Michel Sarotte)

in Illusions, photographies de Patrick Sarfati, 124 pages, Editions Persona, décembre 1985



Edmund Valentine White III, né le 13 janvier 1940 à Cincinnati (Ohio), est un romancier, biographe et critique littéraire américain.

Il publie, en 1977 avec Charles Silverstein, The Joy of Gay Sex et Les États du désir : voyages en gay Amérique (1980), qui dévoilent son militantisme gay après les émeutes de Stonewall.

Mais c'est surtout sa trilogie autobiographique qui lui vaut le succès : Un jeune Américain (1982) décrit la fin de l'enfance. Suivent La Tendresse sur la peau (1988) ou l'itinéraire d'un jeune homme gay à la fin des années 1960, et La Symphonie des adieux (1997), mélancolique élégie à la mémoire des victimes du sida.

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